Collectif Passion Passion. Alice Martin - Tenue
« Passion Passion est un collectif jeune mais très vif, explique Alice Martin. La rencontre de ses interprètes-créateur·trice·s s’est produite dans l’urgence de danser, de créer des moments saisissant l’espace et les corps ». Chorégraphe, danseuse et fondatrice de ce collectif, elle met en scène des corps avec et sans vêtements. « Avant de porter l’habit, nous sommes nus ». […] Avec Tenue, j’explore la relation que l’on noue avec ses habits. Je décompose nos attitudes, dissèque les mouvements que provoquent nos vêtements. » Surtout, elle joue, de l’espace, des corps, du public surtout, créant la surprise avec espièglerie pour le pousser dans ses retranchements.
Ce collectif à géométrie variable dont l’effectif varie en fonction des projets, compte des profils particulièrement variés et surtout peu normés, c’est-à-dire que certains ne sont pas du tout ou peu formés à la danse. Mais pour Alice Martin « il y a un vrai enjeu à mettre en scène des corps même s’ils n’ont pas les outils académiques. Ils pourraient être considérés comme maladroits mais ils gardent une grande spontanéité ».
De son côté, elle dit avoir « toujours dansé depuis l’enfance », passée entre la France et le Portugal, dont sa famille est originaire. Danse classique, académique, aux côté d’Adrien, un frère ultra complice « avec qui on jouait à faire des spectacles avec une grande liberté, dans une famille qui n’a jamais considéré cela comme une blague d’enfant ». Lui a poursuivi des études de danse tandis qu’elle choisissait l’architecture. Jusqu’à ce que, arrivée en master, elle se dise qu’elle n’allait pas attendre de « finir archi pour continuer à danser ».
« Souvent je me sentais illégitime par rapport à mon frère qui avait un parcours normé ». La norme, un mot qui revient dans la bouche d’Alice Martin. Elle est dedans, dehors, c’est une frontière qu’elle franchit allègrement, qu’elle dépasse et dont elle se débarrasse, comme le font les danseurs de Tenue qui s’habillent, se déshabillent, enfilent et rejettent les vêtements, les empilent, les projettent dans les airs, s’accoutrent des habits des autres, les font glisser d’un corps à l’autre, alternant nudité et accumulations hétéroclites d’habits révélant des personnages non identifiés, brouillant les genres…
Le mémoire de son diplôme d’architecture s’intitulait « Prendre corps. Architecture pour des corps arpenteurs ». Depuis elle n’a cessé d’explorer et de perturber l’espace en y propulsant des corps, des mouvements, déclinant les scénographies en fonction des lieux.
Tenue, spectacle pour 20 artistes, a été ébauché par Alice et son frère Adrien au sein de leur duo Au Carré, puis créé « en groupe » lors d’une résidence à la Maison du Portugal. Le spectacle s’adapte aux espaces et se décline in situ. Une version unique est créée pour chaque lieu, spécifiquement.
C’est ainsi qu’il a été présenté aux Plateformes en janvier 2019, sur une scène, en format de 12 minutes. « C’est un format très court, on a essayé de présenter trop de choses en même temps », reconnaît Alice. « Et on était un peu trop décalés, ce qui donnait l’impression de gens qui couraient partout en jetant leurs vêtements. » Lucide, elle reconnaît que « d’avoir voulu trop condenser a été notre erreur ». Dont acte. Lorsque Tenue a été présentée à nouveau le 6 avril 2019 au Théâtre libre, dans le cadre de la Biennale internationale Design de Saint-Etienne, « on a bien balisé le rapport de la scène aux gradins, travaillé les lumières, créé des diversions et des silences pour donner de l’espace à chaque métamorphose, pour donner plus de place à la pièce », explique-t-elle.
Aujourd’hui, Alice Martin a réussi à conjuguer la danse et l’architecture. Elle est appelée ici et là pour créer des ateliers croisant ces thématiques, jouant du dedans et du dehors, du plein et du vide, du nu et du vêtu. Des ateliers qui se jouent des normes…
Ingrid Bizaguet
ingrid@mouvementcontemporain.com